En 2009 paraissait " Disparu/Vermisst : familles d’Alsace et de Moselle dans l’attente et l’anxiété de 1945 à nos jours " de Jean Haubenestel. Gérard Michel, président de l'OPMNAM, nous fait part de ses réflexions suite à la lecture de l'ouvrage.

Quelques réflexions concernant le devoir de mémoire et plus particulièrement l’implication voire la légitimité des descendants des Malgré Nous d’Alsace Moselle, morts ou disparus au cours du deuxième conflit mondial.

La situation particulière de notre province au lendemain de la guerre éclair, avec pour conséquence une annexion pure et simple du territoire mais surtout de ses habitants dans le « Grand Reich » n’a pas fini de faire couler de l’encre. De nombreux chercheurs ou écrivains affirment pour certains, se posent des questions pour d’autres, mais l’avis des descendants fut consulté rarement. Le livre paru récemment sous la plume de Monsieur Haubenestel est intéressant à plus d’un titre, concernant la mémoire directement ressentie par les familles cet ouvrage ouvre pudiquement un volet de l’histoire enfouie par la douleur et l’incompréhension.

Un article paru dans les DNA à soulevé un vent polémique en Alsace Moselle, que d’aucuns ont trouvés bruyant voire tapageur. Il s’en est suivi une série de réactions publiées (j’attends toujours la publication de la mienne, ou plus précisément celle de notre association d’Orphelins de Malgré Nous ») à la rubrique « Mémoires » du journal, même la rédaction de l’antenne régionale de télévision a cru nécessaire de produire un débat pour clarifier les lignes.
Or ce tumulte à eu le mérite de porter sur sa vague, les avis des uns et des autres et de confronter des positions des douleurs et des ressentiments enfouis, cachés mais latents. Tout le monde s’y est mis cela ne pouvait pas faire de mal aux maisons d’édition en quête de publicité.
Dans tout ce tumulte, j’ai retenu l’interview de Monsieur Haubenestel, auteur d’un ouvrage remarquable, bien que non concerné directement par ce drame, son étude psychologique de la mémoire des familles a débouché sur une réflexion et il l’exprime clairement quand il cite : « Il est étonnant de constater que les descendants ont ressentis plus durement les conséquences de ce drame, que ceux les Malgré Nous qui l’ont vécus eux-mêmes. »
Analyse juste, mais à rectifier quand il cite le mot « eux-mêmes », si l’on considère que les Malgré Nous eux-mêmes sont les hommes et les femmes qui ont eu la chance de revenir de l’enfer, on oublie forcément les 40 000 morts ou disparus à la parole confisquée pour trois raisons :
– La première s’impose, ils ne sont plus,
– La seconde, par le silence de ceux qui sont revenus, incapables de communiquer leur drame incapables de parler de leurs camarades disparus,
– La troisième par les allégations mensongères et les affirmations grossières distillées sournoisement.

Dès lors il faut se poser la question, cette affirmation sous entendait-elle, que les générations anciennes savaient souffrir en silence ?
Où cela voulait-il dire que cette souffrance longtemps occultée, s’est découverte au fur et à mesure de la prise de conscience des faits par les générations privées d’un père, d’un oncle, ou des deux à la fois ? Les questions que se posent les descendants sont pourtant simples, « Mon père fut-il un assassin ? » comme cela est si souvent proposé, du fond de leur tombe nos jeunes pères, car ne l’oublions pas ils avaient entre 17 et 30 ans, doivent se fendre d’un dernier rictus, par l’injustice qui leur est imposée post mortem.
Pourquoi au vu des français bon teint les gens des marches de l’Est sont-ils tout d’un coup responsables de l’ensemble de la honteuse collaboration française ? Responsables de la tuerie d’Oradour et de Tulle, responsables de l’incorporation de force, responsables de leur patois germanique ?
Cet ensemble de constatations juchées sur l’absence du père s’est traduite par une révolte sourde parmi les orphelins des Malgré nous, or aujourd’hui la troisième raison de la confiscation se fait jour parce qu’elle s’impose à nous, mise en face de cette injustice toujours et encore tartinée par des historiens amateurs et les chantres d’une France glorieuse résistante et combattante, balayées les propres fautes sous le tapis et montrer du doigt les boches de l’Est.

L’histoire du Saint Empire Germanique ne s’effacera pas d’un simple revers de la main, malheur aux vaincus, l’histoire est écrite par les vainqueurs et nos grand parents agitaient les fanions tricolores fin 1918, enfin à nouveau français, dehors les casques à pointe. Une fois de plus l’histoire dans son flux et reflux nous en a remis une couche et il faudrait que nous portions le chapeau. Pour revenir à l’implication des descendants, n’est-il pas évident, que le drame familial est cent fois supérieur dans un foyer où le père n’est pas revenu, les dégâts sont ressentis d’une façon plus vive et personnelle, même malade de nombreux MN ont pu fonder une famille, ou retrouver la leur… Bref ils ont eu la chance de revivre, or la mémoire fut longtemps occultée par ces hommes et femmes eux-mêmes, ils n’avaient qu’une envie et on les comprend, revivre et oublier…

Gérard Michel
Président de l’OPMNAM